le meilleur des mondes selon bill gates

Publié le par skarlet

         Au Consumer Electronics Show, le salon électronique tenu à Las Vegas (USA) du 8 au 11 janvier 2007, le chef de Microsoft, Bill Gates déclare:

“My vision is to give you connected experiences 24 hours a day”, - ce que l'on peut rendre littéralement par : "ma vision est de vous donner des expériences connectées 24 heures par jour" - avant d'ajouter une (tentative de) pointe humoristique : “I have to admit that regarding while you are sleeping, we haven’t really figured out what we are going to do there yet.” Ils n'ont donc pas encore une idée concrète du traitement qu'ils vont nous infliger pendant notre sommeil, ce qui n'est pas vraiment fait pour nous rassurer. Pour l'instant, cette déclaration à la Orwell ou Huxley a été très peu commentée. Car Internet a le vent en poupe. Commerciaux, particuliers, bénévoles, alternatifs, scientifiques, journalistes, politiques, terroristes... - tout le monde y trouve son compte. Alors, d'où l'analyse, la critique pourraient-elles venir ? Et surtout, comment se feraient-elles entendre dans cette marée d'indifférence qui submerge tout ce qui n'entre pas dans le cadre de "visibilité" prescrit par le "commerce international" ? - Concrètement, Bill Gates veut parler de cette fameuse "maison du futur" dont tous les ustensiles seraient interconnectés et connectés au cerveau humain par la nouvelle interface Microsoft Vista, puis reliée au world wide web, une "entreprise" qui marche dans les deux sens : du côté "consommateur", ses "fenêtres" (windows) donnent sur le monde "virtuel", évidemment commercial et donc éminemment "réel" pour ceux qui en tirent profit, sous couvert d'une éventuelle valeur "informative" ou "pratique", assortie d'une invitation constante au "divertissement" payant; et du côté "concepteur", les stratégies de surveillance et de contrôle ont leurs entrées dans cette "maison du futur" et le cerveau des consommateurs, détectant les "préférences", la qualité des "outils", proposant sans cesse de nouveaux "plug-ins"... - Les mots suspects de la déclaration de Bill Gates sont give et experience: il ne "donne" rien, mais vend cher ses produits pour générer d'énormes bénéfices; et "l'expérience" dont il s'agit n'a rien à voir avec un quelconque "vécu", une "existence" que l'on pourait ensuite évoquer comme faisant partie d'une histoire personnelle ou collective; il s'agit en fait de "non-expériences" dans le cadre d'une "non-histoire" et d'une "non-existence", dont nous laisserons à nos petits-enfants le soin de faire le récit après avoir passé et gâché une vie entière devant les fenêtres et les écrans de Microsoft ou d'Apple. Or, le point capital de cette déclaration, c'est l'ambition bien réelle de contrôle que l'on entend exercer sur les conduites humaines, une sorte d'expérimentation totale (selon la formule du philosophe Jacques Poulain) où l'on ne sait peut-être pas encore ce qu'on va faire quand les gens dorment, mais...  le simple fait de le dire suffit pour lancer le mot d'ordre d'une recherche sur une "nouvelle expérience" qui viendra hanter nos rêves. Sans doute, Bill Gates, qui annonce sa "retraite" pour 2008, sera-t-il trop accaparé au bord de sa piscine Vista par ses entreprises de charité défiscalisées pour s'en occuper personnellement, mais en vérité tout cela n'est pas une affaire de personnes. Il y a beaucoup d'autres Bill Gates ou Steve Jobs pour nous détailler leur "projet de société" toujours identique qui accompagne des "packs" de logiciels sans cesse renouvelés, pour finir par modeler, uniformiser nos conduites dans un paradis technologique jusqu'à ce que mort s'ensuive... - En parlant de cette "maison du futur" (Microsoft: "a PC on every desk and in every home"), on se prend à envier les "SDF" qui, victimes de la "crise du logement" (l'autre côté de la médaille) ou "clochards" par choix existentiel, échappent encore à ce "New Brave World" qui nous est présenté dans l'univers en carton pâte de Las Vegas.

Ajout (mai 2007) : Après la diffusion récente d'un reportage proposé par la télévision belge, on pourrait croire à la sincérité de Bill Gates, lorsqu'il investit des milliards dans la recherche sur le sida, l'aide médicamenteuse et alimentaire, notamment à destination des enfants pauvres de notre planète. Un prochain article sera consacré à ce qui, ci-dessus, est appelé, sans doute un peu trop rapidement, son "charity business". Mais quels que soient les résultats de la fondation dirigée par Bill Gates, - et si ses activités permettent de sauver la vie d'enfants (et de parents) pauvres, il faut les saluer ou les soutenir, - son entreprise d'expérimentation humaine par le truchement et l'artifice d'un monde virtuel, résolument commercial et réellement désocialisant reste éminemment suspecte.


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Publié dans "médialectiques"

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