Mai 68 : Vieilles Lunes (d'un âge d'oré)

Publié le par David Leterrier



    Arquebouté sur une rancune de 40 ans, le candidat Sarkozy ne craint pas le ridicule en fustigeant "l'esprit 68" jusqu'à y voir même l'origine du cynisme contemporain… [Et à le voir, on peut comprendre : un cynisme ici présent ! ]

Encore un qui doit écouter les néophilosophes du style Alain Finkielkraut, qui transforme sa matinée de France Culture en une sorte de FoxNews germano-pratin, manifestant une surdité intellectuelle et une sophistique de bon aloi. La mode est au narcissisme épicier, qui absorbe tout, et renverse instinctivement même les critiques qui s'adressent à lui, pour dérouter son adversaire crédule ou médusé.

En fait Nicolas Sarkozy menace de faire payer à la jeunesse actuelle sa propre adolescence mal vécue, et la haine qu'il a peut-être éprouvée envers ceux de sa génération qui vivaient plutôt bien la révolution des moeurs, "le corps de 68".
Le discours du candidat a donc été refoulé depuis 40 ans, il attendait son heure. Cela explique un peu la pression !

A cette époque, d'extrême gauche et déjà fervent, André Glucksmann touchait du doigt le "passage à l'acte terroriste" qu'il jure avoir combattu depuis toute sa vie. En ce temps là, Alain Finkielkraut était, lui, "fasciné" par la parole révolutionnaire, admet-il aujourd'hui, ajoutant même que c'est à cause de Jean-Paul Sartre et de "la pensée 68" qu'il a raté son entrée à l'Ecole Normale Supérieure. La victimisation est une habitude tenace. 
Faut-il suspecter une preuve de frustration dans le fait de renier ainsi sa propre jeunesse ? Sous un daie de honte, les intello-canailles et l'arriviste crispé semblent admirer en miroir l'absence de leur défauts de jeunesse réciproques.
Les gauchistes élisent le petit faf.
Le candidat cathartique apporte la rédemption aux mauvais garçons et aux filles délurées, pourvu qu'en guise de repentance, ils se payent de ferveur patriotique et d'un dynamisme conquérant, dont il promet de cacher les yeux. Il reste une grande oeuvre : construire une révision complète du récit historique pour dénigrer une bonne foi les tumultes d'une jeunesse qui fraternise, pour que plus jamais ça, pour faire taire surtout la parole de 68 qui les hante, cette parole qui fût sans doute le seul présent qui ne finit récupéré ou déçu.

Pour que plus jamais ça… 68 ? Faut-il réviser jusque là ? Entendez-vous ce que vous dites ?
Faut-il en déduire que l'assassinat de Martin Luther King, la fin tragique des Kennedy, les lynchages et les ratonnades, l'Algérie, le Vietnam, le Cambodge et l'opération Condor, ils peuvent revenir, eux ? Ils peuvent se dérouler sous nos yeux surinformés et absents ? A notre insu, promis ?

Mais qui connaît encore Mai 68 aujourd'hui ? Qui peut entendre ces oiseaux de mauvais augure si ce n'est leur génération, celle-là même qu'ils excluent et dont ils assurent la mort définitive ? Si ce n'était pas tragique, on devrait rire de voir le décalage de ces faux prophètes qui déploient un discours obsédé par la libération sexuelle et 68, quand ils s'adressent à une jeunesse qui vit avec la peur omniprésente du Sida une précarité économique sans comparaison avec la santé des bonnes vieilles années 60.

Le discours politique de Sarkozy est par essence frustrant, car il insulte le public auquel il s'adresse, en lui niant tout héritage culturel, et surtout en le persuadant qu'il ne représente pas le vrai peuple auquel il doit parler. Ils ne sont pas assez réactionnaires; aucun des ses auditoires n'est assez brute et craintif, rageur et désespéré pour constituer le peuple réel, la France racornie, peureuse et xénophobe qu'il considère partout, en nous expliquant qu'il est bien obligé de s'y soumettre. Ce n'est pas lui, c'est l'ours national qui l'est, et qu'il doit ménager —car il est le seul à pouvoir le dompter ! Mais jusqu'à quelle lune ira-t-on comme ça, en lançant toujours plus haut le simulacre d'un pays plus réel ?

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